Au cœur du village de Beignon, entre Rennes et Vannes se niche un lieu que j'aime beaucoup et que je vous invite à découvrir : l'Artothèque de Brocéliande...
L'artothèque a été créée par l'association la Paimpontaise en 2014. Cette association regroupe des artistes locaux qu'ils soient peintres sculpteurs ou photographes. C'est un lieu où il est possible d'emprunter des œuvres et de visiter des expositions. L'artothèque invite un artiste par mois et, une fois l'an, présente une exposition collective des membres de La Paimpontaise.
A l'occasion de l'édition 2016-2017, La Source des Mots avait proposé un atelier d'écriture « Écrire à partir d'une œuvre d'art ».
Les textes produits à cette occasion avaient donné lieu à une lecture publique lors du vernissage faisant lien entre les écrivants, les artistes et le public.
C'est avec plaisir que je vous présente ces textes écrits autour d'une œuvre de Seb Moreau et François Combot intitulée « Cessez-le-feu en Syrie ».
Si vous souhaitez lire d'autres textes écrits à cette occasion, rendez-vous dans la rubrique « Coin lecture »...
Dans ce premier texte, « Écoute-moi Leïla » la personne qui écrit fait parler le peintre, un peintre d'encre, un peintre qu'elle a imaginé.
Dans le second texte, « Le grand-père », c'est un personnage du tableau qui devient le narrateur.
Écoute-moi Leïla
Écoute-moi Leïla,
J'ai écrit ce tableau avec le sang de mes veines, sur la déchirure d'une nation, sur notre peuple exsangue, sur nos enfants mutilés, nos mères et nos sœurs bafouées et jetées dans la lie de la haine.Écoute-moi Leïla.
Tu es partie un soir de décembre.
Je t'ai confiée à un passeur tandis que tu t'accrochais à moi.
Sur la toile blanche, j'ai lancé le rouge vif et l'orange, comme un appel à l'espoir, l'espoir de te revoir, même si maintenant tu es loin, trop loin.Écoute-moi Leïla.
Un disque d'or s'est effondré dans le noir de la haine et son arête aiguisée a tranché nos liens à jamais rompus.
Tu es seule maintenant sur l'océan de l'exil.
Je suis seul maintenant devant ma toile zébrée de ténèbres et je crie ton nom.Écoute-moi Leïla.
J'envoie des éclats de neige dans la noirceur sans fin qui est prête à avaler la lumière et toi tu marches dans la furie, sous un ciel de tempête, avec d'autres hommes, femmes et enfants jetés sur le chemin de l'exode.
Tu fuis le chaos mais arriveras-tu jusqu'à l'autre rive, dans le tumulte de la mer ?
Une vague pourrait t'engloutir.
Et je te dessine sur le bas du tableau avec tous ceux qui ne sont plus.Écoute-moi Leïla.
J'ai faim mais je ne peux plus manger. Tout a le goût de cendre et de mort.
Me reste ce café insipide et froid que j'avale pour ne pas dormir car, si je meurs, le tableau s'animera dans une violence plus forte encore que cette réalité qui me tient prisonnier.L'hydre noire me dévorera Leïla.
Cette monstruosité que j'ai crachée sur le chevalet, c'est l'oubli.On oublie pour ne pas souffrir.
On se dissocie. L'arrache-cœur nous saisit le corps, nous démembre et notre esprit s'enfuit.
Comme tu es partie Leïla, j'ai préféré laisser mon âme s'échapper de cet enfer.
Je suis là, face à la toile que je saigne de mon pinceau et je laisse mon esprit aller vers toi, pour te rappeler… te rappeler que tu ne dois pas oublier.
Non, Leïla, tu ne dois pas oublier.Dehors une déflagration
Je suis saisi par les flammes.
Leïla, écoute-m…
Sylvie Février - Novembre 2016
Le grand-père
Hier soir, nous étions encore à la maison. Tout déraillait dans le village. La violence est partout et le ciel n'en peut plus. Je ne sais plus mon âge, quatre-vingt, quatre-vingt-douze ans ? Ça fait longtemps que les chiffres se mélangent dans ma tête. Ce dont je suis sûr est que je n'ai rien vu de tel pendant toutes ces années que j'ai vécues. Le ciel fâché qui pleut du sang, les arbres qui se déracinent pour fuir et cette pieuvre noire qui se répand au dessus de nos têtes.
Je ne regarde pas en arrière. Si je me retournais je verrais peut-être comme un disque d'or, le symbole de ce que nous laissons derrière nous. Nos terres, nos affaires.Ma belle fille marche derrière le chien. Ce chien à qui tout le monde jette des pierres en disant qu'il porte malheur parce qu'il est blanc. Nous le suivons comme le doigt de Dieu, c'est lui qui nous conduit. Les animaux ont l'instinct, ils savent exactement où aller pour survivre.
Ma belle-fille porte le bébé, il rit en regardant le chien.
Mon fils, le père de l'enfant n'a rien pris, même pas sa langue, il se tait.
Mon petit fils avance devant moi, il porte une casquette, son violon sur le dos et une valise. Je ne sais pas ce qu'il a fourré dans cette valise, des pinceaux et des tubes de peinture, je ne sais pas à quoi ça sert mais je sais qu'il veut vivre puisqu'il a pris son violon.
Mourrons-nous, vivrons-nous ? Que nous mourrions ou que nous vivions, il jouera de la musique et les oiseaux recommenceront à chanter dans les arbres qui courent.
Et moi tu sais, j'ai pris une valise mais je n'ai rien mis dedans ! C'est pour ma contenance, pas pour le contenu. Et je ris de ce vide, oui je ris. Croient-ils, ceux qui marchent devant que je suis un vieux fou ?