Écoute-moi Leïla
Écoute-moi Leïla,
J'ai écrit ce tableau avec le sang de mes veines, sur la déchirure d'une nation, sur notre peuple exsangue, sur nos enfants mutilés, nos mères et nos sœurs bafouées et jetées dans la lie de la haine.Écoute-moi Leïla.
Tu es partie un soir de décembre.
Je t'ai confiée à un passeur tandis que tu t'accrochais à moi.
Sur la toile blanche, j'ai lancé le rouge vif et l'orange, comme un appel à l'espoir, l'espoir de te revoir, même si maintenant tu es loin, trop loin.Écoute-moi Leïla.
Un disque d'or s'est effondré dans le noir de la haine et son arête aiguisée a tranché nos liens à jamais rompus.
Tu es seule maintenant sur l'océan de l'exil.
Je suis seul maintenant devant ma toile zébrée de ténèbres et je crie ton nom.Écoute-moi Leïla.
J'envoie des éclats de neige dans la noirceur sans fin qui est prête à avaler la lumière et toi tu marches dans la furie, sous un ciel de tempête, avec d'autres hommes, femmes et enfants jetés sur le chemin de l'exode.
Tu fuis le chaos mais arriveras-tu jusqu'à l'autre rive, dans le tumulte de la mer ?
Une vague pourrait t'engloutir.
Et je te dessine sur le bas du tableau avec tous ceux qui ne sont plus.Écoute-moi Leïla.
J'ai faim mais je ne peux plus manger. Tout a le goût de cendre et de mort.
Me reste ce café insipide et froid que j'avale pour ne pas dormir car, si je meurs, le tableau s'animera dans une violence plus forte encore que cette réalité qui me tient prisonnier.L'hydre noire me dévorera Leïla.
Cette monstruosité que j'ai crachée sur le chevalet, c'est l'oubli.On oublie pour ne pas souffrir.
On se dissocie. L'arrache-cœur nous saisit le corps, nous démembre et notre esprit s'enfuit.
Comme tu es partie Leïla, j'ai préféré laisser mon âme s'échapper de cet enfer.
Je suis là, face à la toile que je saigne de mon pinceau et je laisse mon esprit aller vers toi, pour te rappeler… te rappeler que tu ne dois pas oublier.
Non, Leïla, tu ne dois pas oublier.Dehors une déflagration
Je suis saisi par les flammes.
Leïla, écoute-m…